Allocution du Grand Chancelier

Remise des insignes d’officier de la Légion d’honneur
par Monsieur le Grand Chancelier à
M. Paul Schaffer
19 mars 2013 / Hôtel de Salm
 
 
Madame le ministre d’Etat,
Madame le ministre,
Messieurs les ambassadeurs,
Monsieur le maire,
Messieurs les grands rabbins,
Mesdames, Messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,
 
Monsieur le président,
 
Je suis heureux de vous accueillir à nouveau dans ce palais de la Légion d’honneur. Il y a quelques mois nous étions rassemblés ici même avec nombre de vos prestigieux invités de ce soir pour célébrer l’entrée de la médaille des Justes au musée de la Légion d’honneur. Cette médaille y est désormais exposée avec la croix de la Légion d’honneur et la croix de l’ordre de la Libération du cardinal Saliège.
 
Parmi les membres du comité français pour Yad Vashem responsables de cette heureuse initiative, vous étiez présent. Comme président d’honneur de ce comité mais aussi comme victime de la Shoah. Victime et témoin car de l’épreuve de l’antisémitisme dès votre enfance en Autriche, de votre exil forcé en Belgique et de votre déportation depuis la France dans vos premières années d’homme, vous avez su vous relever pour témoigner de l’indicible dans une dignité qui ne peut que forcer le respect.
 
C’est pour ce courage que vous mettez au service de la nation afin que les déchirements de son histoire ne viennent pas de nouveau troubler sa cohésion, c’est pour ce courage et cette fraternité que nous vous remettons aujourd’hui les insignes d’officier de la Légion d’honneur. Cette distinction est la reconnaissance par la République de biens des mérites, au premier rang desquels je voudrais mettre votre loyauté de citoyen français. Loyauté dont vous avez décidée en pleine conscience et dans l’épreuve - ce qui fait sans doute son indéfectibilité.
 
Vous, qui après avoir été contraint de quitter votre pays natal et votre terre d’exil belge, allez être interné avec votre famille au camp d’Agde quelques mois après votre arrivée en France ;
Vous, qui allez être arrêté en zone libre, non loin de Toulouse en août 1942, quelques jours à peine après l’appel du cardinal Saliège s’érigeant contre les lois raciales du gouvernement de Vichy ;
Vous, qui depuis Drancy allez être déporté comme juif étranger à Auschwitz où votre mère et votre sœur Erika seront gazées et où vous subirez trois ans durant l’entreprise de déshumanisation des Nazis,
 
Vous faites le choix de revenir en France après votre libération. Et surtout d’y rester alors même que votre père que vous espériez retrouver, n’est plus. Vous allez décider de conserver sa tombe dans le cimetière - non juif - de Revel et d’y ajouter le nom de votre mère et de votre sœur. Quelques années plus tard, vous êtes tenté de rejoindre l’Etat d’Israël mais au moment même de sa création, vous vous marriez à une Française, Jacqueline, et demandez votre naturalisation. Vous deviendrez ainsi citoyen français, un acte fort qui signe votre volonté d’intégration et qui vous conduira un temps à servir comme appelé dans nos armées, dans le 8ème régiment de transmission, avant de pouvoir vous lancer dans une brillante carrière industrielle pour laquelle vous serez décoré de l’ordre national du Mérite [par Madame le ministre Simone Veil].
 
Mais plus que votre vie professionnelle, c’est votre mariage et la naissance de votre fille Anick qui marquent votre détermination à « revenir au monde » (telle est votre expression). Vous êtes en effet animé d’un goût de la vie que la déportation et la perte de vos proches n’ont pas éteint. De cet instinct vital vous avez su développer un esprit de résistance qui vous sauve dans les camps, vous interdisant le désespoir, vous guidant dans vos décisions, vous amenant  debout à votre libération que vous refusez ainsi d’attribuer à la chance. Dans l’enfer d’Auschwitz, vous avez su rester libre, libre car courageusement résistant. Aussi, quand des années après la fin de la guerre et la révélation de ses atrocités, les thèses négationnistes font leur apparition, vous rentrez à nouveau en résistance. Il n’est pas pensable pour vous qu’un ancien déporté puisse se taire : « Nous n’avons pas le droit de laisser mourir nos victimes une seconde fois par le mensonge » dites-vous.
 
Sans discontinuité depuis les années 80, vous multipliez ainsi les engagements dans de nombreuses associations : comme vice-président de l’Association nationale des anciens déportés et internés juifs ; comme trésorier et vice-président  de l’Alliance France-Israël fondée par le général Koenig ; comme administrateur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah ; comme membre du bureau de l’Union de l’amicale des anciens d’Auschwitz ; et bien sûr comme membre fondateur du comité français pour Yad Vashem que vous allez un temps présider et dont vous êtes aujourd’hui président d’honneur.
 
Mais au-delà de votre appartenance à ces associations, vous êtes surtout un citoyen et contre la falsification historique vous résistez cette fois par la parole. Victime de la barbarie nazie jusque dans votre chair, vous vous érigez contre la haine en témoignant, en choisissant d’expliquer la violence et la souffrance, sans accabler ceux qui vous écoutent. Vous accomplissez inlassablement ce devoir de mémoire et allez à la rencontre d’un large public : en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, vous intervenez à l’UNESCO, dans les universités, au Goethe Institut, au mémorial de la Shoah mais surtout dans les écoles primaires et les collèges - ce qui vous vaut d’être chevalier des Palmes académiques. Vous vous réjouissez de l’ouverture d’esprit des nouvelles générations avec lesquelles vous savez trouver le ton juste pour éveiller leur conscience, leur vigilance de futurs citoyens et leur inculquer le respect de la vie et celui du prochain. Vous allez même jusqu’à écrire un livre à leur intention, Le soleil voilé, préfacé par Madame Simone Veil, qui est pour vous une compagne des camps, et par Monsieur Serge Klarsfeld. Traduit en anglais et en allemand, il accessible également sur votre site internet afin que  le plus grand nombre puisse accéder à la mémoire de l’Histoire, et à son tour la transmettre.
 
 
Votre ouvrage est dédié à votre petit-fils, Adrien-Benjamin, à l’éducation duquel vous vous appliquez à œuvrer par l’exemplarité. Je suis convaincu qu’il sait vous entendre, comme le savent ceux auprès de qui vous témoignez avec courage et détermination, et comme le sait la République qui vous reconnait aujourd’hui comme officier de la Légion d’honneur.